« Je fais ce que la craque me dit de faire », illustre-t-elle, en apposant une mosaïque en forme de marmotte dans une crevasse du trottoir de sa rue, le boulevard Pierre-Bernard.
Émilie Côté
Marco Campanozzi
Laurence Petit est celle qu’on surnomme la Fée des trottoirs. Elle habite dans le quartier Mercier-Est, juste en face du « précieux » boisé du parc Thomas-Chapais. Son atelier occupe une grande pièce de son sous-sol. « C’était la maison de mes grands-parents », mentionne cette fière Montréalaise de l’Est.
Ce printemps, l’artiste ajoute davantage de mosaïques dans les trottoirs abîmés de son voisinage, grâce à une permission de son arrondissement et une subvention du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Elle passe aussi du temps à Gatineau, en Outaouais, pour bonifier son parcours d’œuvres au sein du Sentier culturel de Gatineau.

Après avoir eu comme terrain de jeu les plaines d’Abraham l’été dernier, la Fée des trottoirs a une autre année fort occupée. Elle est en résidence de création à l’Insectarium, ce qui culminera par des mosaïques d’insectes dans des brèches de bitume de Pointe-aux-Trembles. Enfin, l’artiste se réjouit d’être invitée en France en juillet, au festival d’art urbain Inspire, qui a lieu à Limésy, en Normandie.
Une révélation
Laurence Petit avait 25 ans et travaillait en publicité quand une amie lui a proposé de faire un atelier d’initiation à la mosaïque.
« La première fois que j’ai tenu une pince et que j’ai cassé de la céramique, il s’est passé quelque chose physiquement en moi et j’ai trouvé mon médium. J’ai voulu ressentir cela toute ma vie. » – Laurence Petit
« À l’époque, la mosaïque était peu connue. Les gens pensaient que je faisais de la céramique », poursuit-elle. C’est un art – qui consiste à assembler des tesselles pour en faire une œuvre – mieux compris aujourd’hui. Notamment grâce à des artistes comme Laurent Gascon, à qui l’on doit de nombreuses murales-mosaïques à Montréal, dont celles de Janette Bertrand et d’Yvon Deschamps.

Les mosaïques permettent de redonner vie à un objet de valeur ou précieux, comme un vase de famille qui s’est fracassé, par exemple. Or, Laurence peut utiliser autant de la belle vaisselle anglaise que celle provenant de chez Stokes ou IKEA. « Pour moi, la vaisselle a toujours une histoire, souligne-t-elle. Je la transforme et la traite avec amour. »
Une première « craque » il y a cinq ans
Avant de devenir la Fée des trottoirs, Laurence a mené de nombreux projets dans des écoles ou pour des particuliers (dosserets de cuisine, douches, planchers). On lui doit aussi des œuvres d’art public au Campus MIL à Montréal et dans le musée à ciel ouvert de Beauce Art.

Elle a investi sa première « craque » de trottoir devant chez elle, pendant la pandémie. Elle venait de découvrir l’art du « flacking » par le populaire « street carreleur » Ememem, qui vit à Lyon. Or, il fallait trouver une technique pour que les mosaïques survivent à l’hiver… et aux déneigeuses ! « J’ai rencontré un ingénieur à la retraite qui m’a dit quel type de ciment utiliser », relate Laurence, qui peut aujourd’hui compter sur une commandite de Proma, une entreprise de produits de revêtements de sol située tout près de chez elle, à Anjou.
Pour résumer sa démarche, la première étape consiste à repérer dans un trottoir ce que l’on pourrait comparer à un nid-de-poule, puis d’en tracer la forme sur une feuille de papier. Cela lui sert de patron pour assembler sa mosaïque dans son atelier. De l’adhésif lui permet ensuite de tenir le tout en place et de retourner à l’extérieur pour la pose. Puis, pendant le séchage, un cône orange paré d’un bouquet de fleurs avise les passants de l’opération en cours.

Un liant social
« Mon but est de créer un lien avec les passants. Ils doivent s’attacher à la mosaïque », fait valoir la Fée des trottoirs.
Dans son quartier, c’est mission accomplie, avons-nous constaté en croisant de nombreux voisins enchantés de sa présence. « Laurence, c’est tellement beau. Je viens te féliciter », lui a dit Suzanne Beaulieu en demandant où est la mosaïque récente de chat et en signalant que celle de renard a besoin d’une retouche.
« C’est une fée et c’est notre ange des trottoirs, s’est exclamé pour sa part Lucien Larrivière, qui a une mosaïque tout juste devant son immeuble. Les enfants s’arrêtent constamment avec leurs parents. J’ouvre la fenêtre et je leur dis que c’est un cachalot. »
Des gens lui font même des commandes… en vain. « En avant de chez nous, Laurence me dit que ce n’est pas une bonne craque », a dit en plaisantant Karine Dubé, alors qu’elle marchait avec sa fille Azel.
Pour Azel, les mosaïques de la Fée des trottoirs assurent une présence rassurante dans le quartier. « Elles font du bien au moral. Quand la neige fond et qu’on les voit, c’est le premier signe de l’été. »
